Autour du Premier Comptoir
La poésie, ce n’est pas la mer à boire, annonçait la parodie de slogan.
Est-ce alors la terre ?
À manger ? suggérait un passant du jour...
Dans ces jours de septembre en mer, nous avons mené l’enquête à la façon des éphémères que nous sommes. En baptisant notre nouvelle saison « Comptoir des poètes » avec la voix des autres mêlée aux mots en carafe. Jetant sur le tapis les noms de Delteil, Cabral, Saint-John Perse, Tagore, Baudelaire même dans ses manières d’enivreur. Tentant des croisements de voix en forme de ping-pong, rive à rive. Plaçant les écarts d’harmonica ou de guimbarde pour glisser autour des phrases. Deux heures durant, à se reconnaître assoiffés, réclamant à la fin à sortir sur la place. Le temps d’emporter le dernier poème vivant : un paquebot sorti du port, traversant l’instant en ligne d’horizon.
À l’entrée du Vallon des Auffes, c’est promis : malgré la tentation des anagrammes, le comptoir des poètes ne sera jamais le dépotoir des comètes…
*
Ces petits riens
Un vent
va
prend
l’air
inspire
douze éoliennes
On se laisse griser.
Laurence Verrey
*
Quand le bateau boit…
Je suis un chat marin.
J’habite une barque amarrée au Vieux-Port.
Je suis un chat inquiet : mon bateau boit.
Il est trop accueillant pour les eaux et marées,
Et le sel le grignote.
Parfois, sans vent ni vagues ballottantes,
Il se penche sans raison.
Parfois, il navigue en zig, en zag…
Mon bateau boit et le fond de sa cale me mouille les pattes,
De petites vagues me chatouillent le ventre.
Pour aller au Frioul, il s’en va par Gaby.
Pour aller à l’Estaque, il mouille à Morgiret.
Mon bateau boit.
Ses vieilles bordées font corps avec la mer.
S’il croit ainsi attirer les girelles,
C’est plutôt le contraire.
Je suis un chat marin, qui sera un nageur.
Car mon bateau, à boire sans soif,
Dans un moment d’ivresse
Rejoindra un beau jour, les poissons les coraux.
Les oursins et les poulpes viendront l’habiter.
Je serai chat nageur,
Ma maison sous les eaux, sera loin de mon port.
Et je miaule ce soir, ce qui dans la langue des chats, veut dire pleurer.
Gérard Boudes
*
Quelle certitude a-t-on
que la mouette n’emporte pas
les notes de musique ?
Et comment savoir
si cet oiseau n’est pas l’enfant
d’un ourlement de vague
ou celui de la risée d’un océan ?
Le musicien face au vent
est devenu invisible ;
l’oiseau traverse l’horizon,
gris-menaçant :
Tout s’explique ;
tout a une cause première,
une raison d’être ;
sauf quelquefois le hasard
quand il vient chambouler l’instant.
Philippe Deniard