En novembre 2007
Je me souviens que ...
C'était pour moi une journée vraiment spéciale, l'occasion d'être "entière", l'occasion d'évoluer en un espace où les deux pôles d'atttraction (entre lesquels j'évolue souvent) : danse et poésie, seraient enfin rassemblés. C'était comme le prolongement d'une résidence vécue à Chateauvallon où j'avais travaillé avec Jean-Jacques Sanchez et Jasone Munoz, tous deux danseurs et chorégraphes. C'était partager avec mes amis danseurs ma part écrite, partager avec mes amis scripteurs ma part danseuse. Offrir la disponibilité de mes deux amis danseurs à l'ouverture d'esprit de mes amis scripteurs. À mon niveau une opération holistique.
Il s'agissait de prendre contact avec le monde du gestuel, de l'éphémère, avec ce que peut le corps quand on le connaît bien et qu'on vit harmonieusement dans son enveloppe. Se sentir confortable et confiant, bien dans sa peau.
Il s'agissait de trouver le lien entre poésie dite intuitive et revendiquée comme telle, avec l'improvisation dansée, qui à un niveau professionnel est pratiquée selon diverses voies et lois. Il s'agissait de vivre l'instant et que le corps l'exprime, le confie, le confesse. Il s'agissait de savoir trouver le plus court chemin "entre l’affectivité et le mental immédiatement et simultanément sollicités dans l’acte de création" comme l'écrivait après cet intervalle Geneviève Liautard.
Il s'agissait peut-être de mesurer un désir, de prendre le temps d'écouter, de toucher combien vivre en se dévouant à la poésie, intuitive en l'occurrence, est apprendre à "perdre" pour mieux " gagner " par le biais de la conscience et du souvenir passant par le texte et par le corps. L'écriture laisse son empreinte sur une page, un écran, ou dans les muscles, une trace reste du passage du geste... Ce qui revient à constater qu'on ne trouve pas, quelque soit la quête, on RE-trouve, RE-découvre, RE-combine, RE-organise, RE-crée ... (quoi l'éternité) ... alors qu'est-ce qu'improviser sinon puiser et faire nôtre en toute ingénuité, l'authentique d'une émotion et la richesse d'une mémoire ? Débloquer le contrôle du mental, lever les censures de l'inconscient, se laisser surprendre, s'abandonner à l'inconnu tout en sachant attendre.... dans la latence du juste ; le mot ou le geste s'ajustent à l'émotion qui ne déborde pas, s'ajustent à l'espace de disponibilité et d'attention permises par la concentration, alors quelque chose de la jubilation est vécu ....
Il s'agit de faire l'expérience, d’éprouver, des présences... Où toucher, c'est commencer d'écrire.
Il s'est agi d'une initiation à ce qui est nommé Contact Improvisation. (1)
De cette expérience, en analysant après coup, personnellement et subjectivement, il m'apparaît ceci : entre le contact socialement codifié et les échanges intimes, il y a toute une gamme, vaste et nuancée, qu'il est passionnant d'explorer. Par cette pratique il m'a été permis de faire l'expérience de beaucoup de choses comme la vitesse, la légèreté, la désorientation... de façon ludique et je l'espère partagée.
Il s'est ensuite agi de faire une autre expérience, une seconde pratique de l'improvisation à partir d'une seconde consigne : retrouver par la mémoire du corps la présence de l’autre. Il s'agissait d'entrer en interaction, des spectateurs lançaient des mots, les danseurs tentaient d'adapter leurs gestes auxquels les spectateurs pourraient adapter leurs mots.
Cette autre expérience, a posteriori et deux ans ou presque après le déroulement de l'évènement en lui-même, m'invite à cette remarque : à l'heure actuelle la danse contemporaine est ouverte à bien des pratiques qui lui sont a priori étrangères. Certes elle se déploie dans des corps en mouvement, mais on ne peut ignorer qu’elle est aussi traversée de sons, d’images et d’objets, qu’elle se prolonge parfois en discours, prend la parole à son tour, s'installe dans les espaces de la cité, quitte la scène traditionnelle.... comme si elle n'avait pas son propre medium .... il n'y aurait pas immédiatement un matériau spécifique à la danse .... et quid de la poésie ? Est-ce là le lieu d'une rencontre, ce vide ou ce manque où toute création est possible ?
Il semblerait qu'un mouvement depuis la fin du vingtième siècle jusqu'en ce début de vingt-et-unième, questionne parallèlement ce qui fait danse, ce qui fait poème et poésie, et ces interrogations trouvent écho dans les écrits, débats et départements universitaires, déplaçant encore le centre de gravité de la danse et du poème hors du corps en mouvement, hors du corps de l'écriture poétique, hors de ces expériences "en situation". Est-ce le signe d'une faiblesse, d'une déca-de(a)nce ou bien la manifestation d'une ouverture dont la danse et poésie contemporaines peuvent et veulent se nourrir afin d’interroger les chemins empruntés par ces dernières pour se "mettre en œuvre" depuis ce qu’elles ne sont pas (ou semblent ne pas être)... mouvement général qui rejoindrait les réflexions des penseurs de la voie négative (apophatiques), une pensée à partir de ce que l'objet de la réflexion n'est pas, ni ceci ni cela ... pour laisser l'infini et l'absolu à portée d'intuition ... ainsi il y aurait bien un air du temps, les forces et les courants de notre époque qui amèneraient en coïncidence toutes les pratiques utilisant un langage ... à contempler cette perspective, à en méditer tous les potentiels, voici que le vertige me prend ! Celui de l'enthousiasme bien entendu !
Béatrice Machet
Idem opposite
Ouverte,
une carrière de lecture
du corps
De légèretés de laine
en écorces échevelées
il fallut éteindre les repères,
secouer l’exil des yeux,
intimer aux minutes
à rebrousse-temps,
la charge de déshabiller la peur
Pieds plombés
mains déguisées légères,
une partie cessante
une partie entrante.
Et digitaliser l’appel du toucher
Interligne sonore
comme un trait d’union langagier.
Quand nos mains tapissent le silence
un ailleurs
entre ici et l’impossible
dans l’idem opposite
corps noué appelant liberté.
VB
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(1) Le contact improvisation (CI) est une pratique dansée dans laquelle les points de contact physique entre au moins deux partenaires sont le point de départ d'une exploration à travers des mouvements improvisés. Au delà des simples points de contact physique, entre en jeu le contact global (auditif, kinesthésique, perceptif / énergétique et même affectif) du danseur avec son ou ses partenaires et avec l'environnement (le sol, l'espace, la gravité, etc.). Aussi appelé danse-contact, c'est un genre de danse improvisée, une des formes les mieux connues et les plus caractéristiques de la danse post-moderne. En dehors des cours ou ateliers, le contact improvisation se danse lors de pratiques libres appelées "jams".
Le contact improvisation s'est développé aux États-Unis dans le courant des années 1970, par un groupe de danseurs, menés par Steve Paxton et Nancy Stark Smith. La première pièce présentée comme du contact improvisation fut Magnesium de Steve Paxton, en 1972. Paxton enchaîna avec la première performance de Contact Improvisation à la John Weber Gallery à New York. Par la suite, les ateliers et les jams ont permis de mettre en commun des expériences diverses et éparses, ayant toujours comme point central les capacités d'adaptation du corps en situation d'appui ou de contact extrêmes ou accidentels, en jouant avec la force de gravité et les relations entre les protagonistes. Peu à peu un langage commun s'est formé et une nouvelle pratique du mouvement a vu le jour, qui utilise la danse, les arts martiaux, la gymnastique et le « psycho-corporel ». La priorité est donnée à l'écoute et à la confiance entre les partenaires : les rencontres doivent se faire en toute fluidité, les danseurs doivent se rendre disponibles aux mouvements des autres, les partenaires doivent adapter leurs mouvements et déplacements mutuels. Le contact improvisation peut se pratiquer en duo ou plus. Basée sur les lois dynamiques, elle s’écrit à partir d’une non-volonté. On écoute le rythme intérieur et l’on n’a pas besoin de musique. C'est prendre et donner, dans un même mouvement. Être à l'écoute et faire attention à ce que donne l'autre (la qualité du contact) est crucial, car, comme souvent en improvisation, on a tendance à en faire trop, au détriment de ce qui pourrait apparaître spontanément comme original ou encore essentiel dans la danse. De nombreux chorégraphes contemporains utilisent également le contact improvisation comme élément central ou secondaire dans leurs pièces, laissant alors libre cours à l'inventivité des danseurs. Il n’y a pas d’obligation de résultat comme en danse contemporaine, il n'y a pas de notion de compétitivité comme dans les cours avancés des studios de danse.
Commentaires
THE BEAT GOES ON
Danse sans mouvement
Juste une épée
Et des plumes
Pas un cil ne frémit
Dans la spirale inversée
Des polarités sans appel
La poésie se suffit
La danse est un langage
Pour sensibilité muette
Essayant d'articuler un phonème