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Simone WEIL par Eric Unger

LA CARAVANE POETIQUE – 30 AVRIL 2022 – MARSEILLE


Simone WEIL (3 février 1909 – 24 août 1943)

Simone Weil arrive à Marseille en septembre 1940 où elle séjourne environ deux mois
à l’Hôtel des Palmiers (Vieille Chapelle) avant de s’établir en novembre au 8 rue des
Catalans. La rencontre entre Marseille et celle que le directeur de l’Ecole Normale Supérieure aurait baptisé « la vierge rouge », comme Louise Michel, ne pouvait pas être banale. En effet, le séjour marseillais de Simone Weil marque une période particulièrement riche de sa vie. Dès son arrivée en septembre 1940 elle entre en contact avec les Cahiers du Sud auxquels elle va collaborer sous l’anagramme parfois d’Emile Novis. Elle noue en 1941 une relation avec le père dominicain J. - M. Perrin avec lequel elle engage un dialogue fécond ; elle commente des textes grecs dans la crypte du couvent des dominicains. Elle retrouve René Daumal, son camarade de Khâgne, qui l’initie au sanscrit et lui remet des ouvrages de René Guénon. Elle
lit les Upanishads, le Tao Té King. Elle côtoie Gaston Berger. De sa base marseillaise elle s’extrait quelque temps en Ardèche, aux côtés de Gustave Thibon, pour aller travailler en tant qu’ouvrière agricole. Elle entreprend un voyage à Carcassonne où elle rend visite à Joë Bousquet avec Jean Ballard, puis se rend à l’abbaye bénédictine d’En-Calcat pour la semaine sainte. Sur son chemin elle rend également visite à René Nelli. Elle rédige un certain nombre de textes de première importance, tient des cahiers d’une richesse considérable, sans oublier sa correspondance importante. Mais s’arrêter à son activité intellectuelle et spirituelle, certes fondamentale, serait réducteur. Ce serait ignorer que fidèle à elle-même, Simone Weil prend
la défense de travailleurs indochinois vivant indignement dans le camp de Mazargues, qu’elle vient en aide et noue une correspondance avec un paysan espagnol, Antonio Atarès, interné dans de piètres conditions au camp du Vernet (Ariège). Elle prend contact aussi avec la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) qu’elle tient toujours en haute estime. Elle rejoint un réseau de résistance et distribue à ce titre Témoignage Chrétien. Parmi les traits de personnalité mentionnés par celles et ceux qui l’ont réellement côtoyée on en trouve souvent liés à l’élément feu : ardeur, incandescence, immolation. « Elle a l’intelligence qui brûle. » écrit Joë Bousquet. Personnage passionné et passionnant, Simone Weil, agrégée de philosophie, détient en outre naturellement cette faculté unique : l’intuition intellectuelle. Elle avait confié ses écrits, outre à sa famille, à quelques amis (notamment le
père Perrin, Gustave Thibon, Simone Pètrement).

A sa mort plusieurs initiatives ont permis la diffusion de son œuvre certainement peu aisée à compiler. Il existe d’innombrables études dans le monde entier la concernant et émanant de milieux divers. Pour cette évocation de Simone Weil nous avons pris l’option de privilégier ses réflexions et ses écrits de sa période marseillaise jusqu’à sa mort en classant les textes lus sous trois angles incroyablement
imbriqués chez elle et dont elle seule probablement peut faire la synthèse : la beauté, l’amour, l’action.

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Beauté

« La beauté, c’est l’harmonie du hasard et du bien

Le beau est le nécessaire, qui, tout en demeurant conforme à sa loi propre et à elle seule, obéit
au bien.
Le beau enferme, entre autres unités des contraires, celle de l’instantané et de l’éternel.
La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer à l’âme.

Une œuvre d’art a un auteur, et pourtant, quand elle est parfaite, elle a quelque chose
d’essentiellement anonyme. Elle imite l’anonymat de l’art divin. Ainsi la beauté du monde
prouve un Dieu à la fois personnel et impersonnel, et ni l’un ni l’autre.

Poésie : douleur et joie impossibles. Touche poignante, nostalgie. Telle est la poésie
provençale et anglaise. Une joie qui, à force d’être pure et sans mélange, fait mal. Une
douleur qui, à force d’être pure et sans mélange, apaise. »

Amour

« L’amour, chez celui qui est heureux, est de vouloir partager la souffrance de l’aimé
malheureux.
L’amour, chez celui qui est malheureux est d’être comblé par la simple connaissance que
l’aimé est dans la joie, sans avoir part à cette joie, ni même désirer y avoir part.

L’amour tend à aller toujours plus loin. Mais il a une limite. Quand la limite est dépassée,
l’amour se tourne en haine. Il faut pour éviter cette modification, que l’amour devienne autre.

Parmi les êtres humains, on ne reconnait pleinement l’existence que de ceux qu’on aime.

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La croyance à l’existence d’autres êtres humains comme tels est amour.
Les mêmes mots (ex. un homme dit à sa femme : je vous aime) peuvent être vulgaires ou
extraordinaires selon la manière dont ils sont prononcés. Et cette manière dépend de la
profondeur de la région de l’être d’où ils procèdent, sans que la volonté y puisse rien. Et, par
un accord merveilleux, ils vont toucher, chez celui qui écoute, la même région. Ainsi, celui
qui écoute peut discerner, s’il a du discernement, ce que valent ces paroles. »

Action

« Pour tout acte, le considérer sous l’aspect non de l’objet, mais de l’impulsion. Non pas : à
quelle fin ? Mais : d’où cela vient-il ?

N’être qu’un intermédiaire entre la terre inculte et le champ labouré, entre les données du
problème et la solution, entre la page blanche et le poème, entre le malheureux qui a faim et le
malheureux rassasié.

Est bonne l’action qu’on peut accomplir en maintenant l’attention et l’intention totalement
orientées vers le bien pur et impossible, sans se voiler par aucun mensonge ni l’attrait ni
l’impossibilité du bien pur.
Par là, la vertu est tout à fait analogue à l’inspiration artistique. Est beau le poème qu’on
compose en maintenant l’attention orientée vers l’inspiration inexprimable, en tant
qu’inexprimable.
L’esclavage, c’est le travail sans lumière d’éternité, sans poésie, sans religion.

Que la lumière éternelle donne, non pas une raison de vivre et de travailler, mais une
plénitude qui dispense de chercher sans raison.
A défaut de cela, les seuls stimulants sont la contrainte et le gain. La contrainte, ce qui
implique l’oppression du peuple. Le gain, ce qui implique la corruption du peuple.

L’extinction du désir (…) ou le détachement - ou l’amor fati – ou le désir du bien absolu,
c’est toujours la même chose : vider le désir, la finalité de tout contenu, désirer à vide, désirer
sans souhait.
Détacher notre désir de tous les biens et attendre. L’expérience prouve que cette attente est
comblée. On touche alors le bien absolu. »

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Simone Weil quitte Marseille le 14 mai 1942 à bord du Maréchal-Lyautey, pour se rendre à
New York, puis Londres où elle décèdera le 24 août 1943 à l’âge de 34 ans.
Elle rédigea au retour des vendanges en octobre 1941 un poème intitulé La porte.
L’être frappe à la porte et … « La porte en s’ouvrant laissa passer tant de silence.» Une clé de
compréhension de ce poème pourrait bien se trouver dans ses cahiers de Marseille où elle
écrit : « L’impossibilité est la porte vers le surnaturel. On ne peut qu’y frapper. C’est un autre
qui ouvre. »

Eric UNGER

« Attendant et souffrant, nous voici devant la porte.
S'il le faut nous romprons cette porte avec nos coups. 
Nous pressons et poussons, mais la barrière est trop forte.
Il faut languir, attendre et regarder vainement. 
Nous regardons la porte ; elle est close, inébranlable. 
Nous y fixons nos yeux ; nous pleurons sous le tourment ; 
Nous la voyons toujours ; le poids du temps nous accable. 
La porte est devant nous ; que nous sert-il de vouloir ? 

Il vaut mieux s'en aller abandonnant l'espérance. Nous n'entrerons jamais. 

Nous sommes las de la voir... 

La porte en s'ouvrant laissa passer tant de silence. 
Que ni les vergers ne sont parus ni nulle fleur ; 
Seul l'espace immense où sont le vide et la lumière. 
Fut soudain présent de part en part, combla le cœur, 
Et lava les yeux presque aveugles sous la poussière. »

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