Octobre 1977. Collège d’Europe de Bruges.
L’homme qui est devant nous n’enseigne pas comme les autres. Il repousse les murs, il invente des fenêtres, il raconte comme je ne l’avais jamais entendu le dialogue entre l’arbre et le nuage. Soudain les discours ambiants de mes années universitaires de sciences politiques et économiques prennent un coup de vieux salutaire. Le poète qui réclamait en moi de scruter autrement le réel tend à nouveau l’oreille. Le monde, tout d’un coup, s’enrichit d’une compréhension nouvelle ; la science économique trouve le terreau qui lui manquait, une réalité nourricière qui lui donne sens.
Je découvre l’écologie, danse des systèmes.
J’apprends cette évidence : l’homme a débarqué sur la lune, il y a huit ans à peine, oui, mais il en est revenu. Et après ? Plus que jamais c’est la terre qui nous appelle à prendre soin d’elle.
Le réel est infiniment plus intelligent qu’on nous l’enseignait ailleurs dans les cours ordinaires et sans âme. Pour un jeune poète qui remue son tohu-bohu intuitif, sans trop d’écho, voilà l’aubaine : une présence alliée dans le champ académique.
Celui qui anime cette conscience-là a le verbe généreux, enthousiaste, drôle. Sa silhouette est massive, mais pas intimidante. Sous ses lunettes, la malice est en état d’alerte permanente. Dès la première rencontre, nous sommes un groupe d’étudiants de toutes nationalités à prendre spontanément Jean-Marie Pelt sous notre coupe, à l’inviter à prolonger le cours dans notre résidence étudiante de Jorisstraat pour la soirée. L’audace ne se monnaie pas dans cette jeunesse avide de comprendre ce que nous dit la terre ; elle s’est trouvé ici un singulier intercesseur pour nous parler d’elle.
Dès le premier cours, une amitié est née. C’est décidé : avec ce maître-éclaireur, nous partons « refaire le monde ».
La déferlante des questions, le bonheur des entretiens, les retrouvailles suivront, avec le rire toujours à l’affût.
Et des pages, et des pages pour la suite des années.
Et toujours en mémoire, ce jour d’examen-conversation
hors du temps avec les oranges partagées.
À Jean-Marie Pelt, je dédie ces mots d’un livre « C’est bien ici la terre » (MLD éditions) dont il m’avait offert en toute amitié d’écrire la préface en octobre 2011. Puissent ces quelques mots posés en forme de stèle le rejoindre, l’accompagner à la merci des vents:
Alors le secret m’a accordé ce quelque chose
que je ne saurai dire
autrement qu’en murmure.
Sur ma peau, en écriture sympathique, il est écrit :
« je suis l’autre rebord du monde
et je t’attends ».
Dominique Sorrente
Jean-Marie Pelt, écrivain, botaniste, pharmacien, biologiste, précurseur de l'écologie urbaine, est décédé le 23 décembre 2015