Portrait unique parmi d’autres
« vigne vierge d'automne comme
monte à la vie
le sang enflammé d'éphémère »
Marcel Migozzi
Il dribble. Il prend plume. Il fait des appels de balle. Il aligne ses vers : une passe en profondeur, un contre-pied, il travaille son droit et son gauche, son jeu de tête, sait-on jamais. Il décroche d’une ligne à l’autre. Il rature, quelques brins d’herbe feront l’affaire. Rien d’oublié, mais il macère pour trouver liqueur à son goût. Match après match, livre après livre, il y va de son corps à corps gourmand, tenace, généreux. Il accroche son obsédante prise au vestiaire , rêve d’une équipe indéfectible.
Mots et ballon : ce sont facettes du même jeu qui n’admet pas de temps mort. Ah, celui-là, l’affreusement nommé, on le mettra en quarantaine dans un recoin de feuilles. Mais rien n’y fait, dit le maître éphémère du jardin. Il faudra bien lui consentir, à la sauve-qui-peut.
Alors, que lui dire à ce compagnon d’écriture qu’il n’ait déjà scruté dans ses feux de broussailles ? On est seul et voué. On va dans les griffures. On est tous à genoux à respirer l’herbe de femme. On s’éprouve désorienté. On est en chambre d’observation dans ce mot à mot aléatoire qu’on barbouille volontiers d’encre et de poisse.
Et pourtant, pourtant…
On écoute en enfants de toujours les voyelles épelées qui nous parlent et nous relient.
On ne repousse pas la nuit et ses saccages ; on la froisse ensemble du regard.
Incapable d’un vin menteur, on s’attable bon prince avec les années. On laisse glisser des larmes sauvages sur les joues. D’une peau de cyprès touché, on peut recommencer le monde.
Sur un bord de rivière, on conjugue le verbe.
S’émerveiller.
Marcel est de cette trempe-là. Nous ne lui dirons jamais assez, en réponse à ses mots si précieux qu’il nous confie sur le papier d’écolier de sa vie de toujours enfant.
Notre terre commune alors n’est pas si loin.
(Une première version de ce texte a paru dans la revue Encres Vives- hommage à Marcel Migozzi)
contre ce mur
l'échelle en bois couleur de l'os
on est tombé
dans un jardin de malemort
qu'a-t-on perdu dans une boue
à chaque instant de doute un mur
comment le franchir sur l'instant
en vérité ne se dit plus
qu'avec retard et seulement
dans la boue murée de l'instant
Marcel Migozzi
(inédit Scriptorium 2009)
Marcel Migozzi est né à Toulon en 1936, dans une famille ouvrière d’origine corse. Il vit au Cannet des Maures dans le Var.
Lauréat du prix Jean Malrieu en 1985, du prix Antonin Artaud en 1995, du prix Des Charmettes / Jean-Jacques Rousseau en 2007, il a publié de nombreux ouvrages de poésie chez de nombreux éditeurs, en France et à l’étranger, collaboré à de nombreuses revues, ouvrages collectifs, anthologies.
Parmi les ouvrages les plus récents, on citera : Un rien de terre (L’Amourier), Ensemble d’être (L’Arbre à paroles), Au rouge-gorge suivi de Mottes (Estuaires), Des traces dispersées (L’Harmattan), À qui le corps ? (Tarabuste), Dans les fermes, ça fume encore (Potentille), Dix solitudes (La Porte), Nouvelle histoire de la rosée, en collaboration avec Ludmilla Podkosova (Editinter), Et si nous revenions, sans vieillir (Encres Vives).
Commentaires
Brève de sensations ...
Très belle mise en relation entre l'oeuvre de Kounellis
et celle de Migozzi !
le minimalisme peut être si riche et si intense quand chaque mot ,
chaque matière, chaque espace sont choisis avec justesse . Avec le
commentaire de Dom j'en suis sortie presque bouleversée .
merci pour ces échanges entre poésie et art plastique !
idem pour R. Long !
Merci Colette,
c'est un exercice bien intéressant et plus subtil qu'il n'y paraît.
Le texte, la mise en page du texte, la recherche d'un contrepoint plastique...
Peu à peu, le centre de gravité se déplace.
Je suis heureux qu'avec notre webmasterine, VB, ces exercices deviennent de petites créations réussies, et heureux aussi lorsque tel lecteur attentif prend le temps, comme ici, de nous dire qu'il a apprécié.
Reste à espérer que d'autres emboîteront le pas dans cette démarche.
Merci la plasticienne !