Aux Estivales de Coudoux
dans le sillage de Claude Nougaro
LE SCRIPTORIUM
vous invite à une soirée
POÈMES POUR GARDER LE TEMPO
*
Le samedi 4 juillet 2009
à 20h15
Parc du château de Garidel,
Coudoux (13)
- Entrée libre à la Lecture -
Le 4 juillet sera jour d’indépendance en poésie à Coudoux, entre le chant des olives et les effusions de cigales. Au milieu des arbres de haute futaie du parc, nous fêterons ce temps dans les parages d’un hommage à Claude Nougaro qui a fait semblant de nous fausser compagnie il y a 5 ans.
Le Scriptorium, entre jazz et java, réapprendra à scander les mots pour mettre un peu de sable au bord des blessures du temps. La lecture-rencontre alternera solos de batterie de l’âme et poèmes chorus donnés à plusieurs voix.
Vous y retrouverez un beau contingent de scripteurs du port d’attache : Geneviève Bertrand, la régionale de l’étape, Philomène Anziani, Béatrice Machet, André Ughetto, Dominique Sorrente…
Cette soirée sera le point d’orgue de la journée du Chapitre où les poètes et artistes du Scriptorium auront transpiré sur le thème « Ralentir, travaux » en préparation des Dix ans de l’association.
CINQ ANS, CINQ SYLLABES : CLAUDE NOUGARO
à Claude Nougaro, après cinq ans,
ces mots.
Claude Nougaro, je me souviens de lui comme d’un décasyllabe coupé dans sa belle moitié qui tangue, et frappe, et verse, et se reprend. Il plonge sans peine par-dessus bord dans la vie d’amandes et de cailloux de mes seize ans, m’enroule en écharpe de belle amie, me déclare mangeur de goyaves et pastèques, pleines mains ; et il me fait sauter d’un monde à l’autre, par battements, tempos, ruades et ralentis choisis.
Il me dit Oubangi-Charri et il pagaie de plein ivoire ; plus tard, il rit en baladant ses airs, en déplaçant ses « r », avec le corbeau qui croasse, le crapaud qui coasse et les crises de foi. Il réclame une fable bancale faite d’horloge et de pendule. Il salue Mai en ses lendemains de bonbonne éventrée. Il joue à la poursuite avec son Blue rondo à la turque et voue, fervent, les femmes à tous leurs seins.
Il frise le ridicule sûrement, poitrail ouvert, poils en bataille, pensées qui se déhanchent dans une scansion décidée, et le blouson, noir comme écran, prêt à donner de la castagne…
Et voilà qu’il vous laisse vos inhibitions au vestiaire quand paraissent les deux maîtres de sa déesse poésie qu’il ranime, en rive du canal du Midi : Hugo, le magistral, en ses heures de jeunesse qu’il vénère en ses passes d’escrime d’une salve de vers à défier la galerie ; Audiberti du vieil Antibes qui voulut faire chanter le maçon dans sa déferlante au rouge d’alexandrins.
En une époque où poésie se peinturlure en minime, et bien loin du quartier portant ce nom de brique rouge, quand malheur m’est promis pour tout jeu incertain qu’on tente de lever par rasade de mot à mot, où le monde se veut clivé en deux moitiés, en cette époque Nougaro bat le pavé différemment pour que la terre qui danse se mette enfin à trembler. Coup de semonces par un goulot d’azur, il jette à pleines poignées des bouts de son univers en cuivres frappés dans tous les recoins du quotidien, façon miracle oraculaire. Rien n’est plus beau que les mains d’une femme dans la farine, ose-t-il dire en sa boulange de syllabes prêtes à dorer pour l’adorée
D’où me vient alors que moi, si amnésique parfois à retenir les poèmes, j’aie avalé par cœur tant de ces chansons inclassables qui aujourd’hui encore font sortir leurs formules en feu et en claquettes de la bouche, généreuse ventouse, de la vérité ?
Claude Nougaro a duré dans ma tête bien après mai, quand le casque des pavés ne bougeait plus d’un cil.
Alors, pas trop qu’on s’inquiète pour son temps qui vient et reviendra encore. Il suffit de tendre un rythme cubain, de se maquiller masque noir et blanches dents d’Armstrong, pour apprendre à claquer des doigts, de la chaise Sing-Sing au cinéma de tes nuits blanches.
Oui, aujourd’hui plus qu’aujourd’hui, il nous invite à danser bien après ses fiançailles et bien après ses funérailles, avec la pierrerie de l’âme et les soleils joueurs à troquer sur le plancher des hors le jour. Mois de juillet soufflant l’indépendance, mois de septembre qui demeure à l’arrêt, on ira d’un bout d’été à l’autre, en vacance des ponts, balançant nos dictionnaires de rimes sous ton balcon, Marie-Christine…
Quel étonnant voyou remontant la Garonne, mêlant le sang cathare et les voix d’opéra, de camisole en Capitole, a su trouver dans une mélodie de Robert Schumann cet appel d’autre monde qui nous désarme comme aux premières heures ?
« Un jour, un jour, c’est sûr reviendra le jour pur,
L’immense jour d’avant le temps.
Le peuple moribond se lèvera d’un bond,
Armé d’amour
Jusqu’aux dents »
C’est le même qui cogne, entre femmes et famines, c’est le même qui grogne en formules de boxe et vous rit au visage en accord de septième, ciel et terre confondus.
Claude Nougaro, frère sublime des cinq syllabes, qui m’ouvre, plus que jamais, la porte donnant sur les jardins Brazil et dresse la statue au bout de la jetée de Nougayork, cité de feu. Sais-tu encore à ton berceau où danse le lit de Cécile ma fille ? Chante-moi encore, et même si cela nous tient chaud d’un peu trop, Chante jusqu’à pencher vers l’an demain. J’y croiserai Sœur âme et la note bleue de fortune.
Chante, avec une plume d’ange à saisir contre un peu d’immense à la peau, pour que tout toujours s’en aille dans la terreur de mourir et que tout dans tes cinq syllabes compagnes, Claude Nougaro, tout toujours recommence.
Dominique Sorrente
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Portrait de Claude Nougaro par Jacques Basse (1998).