UA-156555446-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Géographies Aléatoires, retour sur l'Intervalle poétique du 17 janvier 2015

     

    3 mai 2012 146.jpg

     

     

    Les Géographies aléatoires de notre dernier intervalle nous ont bousculés, chamboulés, déplacés.

    Du Marseille sortie de la mer, de Supervielle : « Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière qui se mêle à la conversation »

    À l’Urani de Fiodor Tiouttchev : « Il est là ! Est-ce un rêve ? Le monde nouveau/M’apparaît ! »

    En passant par les oasis de palétuviers de François Caradec : « Je sais voyager dans une valise/et je n'ai pas besoin d'avion supersonique/pour filer tout droit vers les oasis de palétuviers/où roucoulent d'une voix mourante/chairs roses chairs flasques chairs molles/vahinés des vahinés tout n'est que vahinés. »

    Ou encore Le Château Cathare de Jean Malrieu : «  Et puis revient la nuit sereine, les arbres reprennent leur course. Les troncs dégagés courent pour nous rattraper. Et nous, après quoi courons nous ? »

    Nous avons partagé des envolées poétiques quasi cosmiques, des voyages intérieurs étincelants, des navigations à-vue, et des bascules de temps, lorsque l’actuel rejoint le passé.

    L’aléatoire a été celui des territoires géographiques, de leurs fleuves et de leurs chemins de traverse, mouvants et incertains

    Mais également celui de la mémoire, de l’ivresse, et du travail de la langue qui, entre polarité de sens et polarité de langage, n’a eu de cesse de creuser son sillon.

    L’aléatoire de notre humaine condition, tout compte fait, en laquelle, indéfectiblement, nous croyons (« Je crois en l’homme, cette ordure », Lucien Jacques),

    Et puisons inlassablement notre désir d’écriture.

     

    Ci-dessous quelques unes de nos productions aléatoires.

     

    La ville des pirates

     

    Permettons-nous

    d’apprendre à mourir

     

    Pour que vienne le tombeau

    des derniers hommes libres

     

    Pour n’être que l’île

    en l’archipel

    où les vents

    emportent la voile

    de nos os

     

    Avec la rumeur sans cesse

    et tout le sel

    de l’océan

    pour naître ou renaître

    Zeus en son palais

    ou Adam en son jardin

     

    Et retrouver le Nom…

     

    Nicolas Rouzet

     

    **

     

    Terre partagée

     

    Noires s'étendent les ombres le soir   

    sur la langue absente de la terre

    aucun son ne frémit à l'étripage

    de la glèbe les champs familiers           

    disparaissent  tu tombes

    dans le vide où se plie la nuit

     

    A l'horizon de l'Est Jupiter se lève

    chasse les ours et le sagittaire

    les étoiles se séparent

    le ciel en étincelant effleure

    ses bords gagne le devant

    et te reporte dans les ténèbres                                              

     

    Le jour est dessiné dans le sable

    entouré de ruisselets  îlots

    de paillettes et de rêves d'écaille

    agitation fébrile sous les vieilles pierres

    des bouts de nuages clament les goélands

    sur terre tu vis jusque l'eau s'en vole

     

     

    Leonor Gnos

     

    **

     

    Improbable bateau, ivre géographie

     

    Je prenais une page blanche

    Et

    Comme je descendais les fleuves impassibles,

    Je me pris à flotter et sentis sur mes flancs,

    Que les flots m’emportaient aux lointains invisibles

    Et

    Regardant par dessus les plat-bords, j’entrevis l’océan.

    Devant moi, chaque vague descendait et plissait

    Quelques Alpes nouvelles qu’une autre refaisait.

     

    Je dansais emporté par les monts et les vents,

    J’étais loin moi aussi des anciens parapets,

    Tel celui qui vécut si longtemps au rebord

    Du monde.

     

    Gérard Boudes

     

    **

    Blanc sur blanc 

                         (extrait)

                                                      au songe  du fleuve Mckenzie

                                                                           

    C’est là.

     

    Une lumière frange les bords.

    On est saisi.

    On se resserre.

    On creuse à l’hivernage.

     

    Les vents viennent du Nord.

     

    Milieu blanc, cristallin.

     

    Parfois se dessinent un détroit, un chenal.

    Pour combien de temps ?

     

    Partout les glaces verrouillent.

     

    C’est là.

    Ou bien c’est là.

     

    Quand ils se retirent du trafic,

    les gens rêvent des rêves incroyables.

     

     **

      

    La mer de glace.

     

    C’est comme écrire.

    Méandres, labyrinthes.

     

    Ce qui gribouille, ce qui s’efface.

    Et rien sur rien. En attendant qu’une forme prenne.

     

    Le blanc d’ici,

    grand frère

    de celui qu’on donne à manger à l’imprimante.

     

    Si les glaces empilent,

    le passage redeviendra impossible.

     

    Une fois la porte fermée, c’est jusqu’à l’année suivante.

    On sera comme

    kayac échoué sur banc de sable.

     

    L’horizon joue à l’horizon,

    les cartes sur la table.

     

    La route qu’on pourra emprunter n’est jamais écrite d’avance.

     

     C’est là.

    Ou bien c’est là.

     

    Comme delta dans le désert du fleuve Okavango.

    ...

     

     Dominique Sorrente 

     

     **

     

    Littoral de l’homme

     

    Territoires rêvés

    territoires emportés au loin, là-bas

    Loin de ce monde

    Loin

    Archi loin

     

    Après l’humain ?

    Non, pas si loin

     

    Là, juste là, ici, entre nous

    J’ai vu un paysage se lever

    Un glissement de ciel dans un jour de sel

    Et l’invisible de l’autre côté du vent

     

    Là, ici, entre nous

    J’ai vu se dessiner un trait, épais

    Charbonneux 

    pas vraiment charbonneux

    - un trait de plume

    Une arabesque

    Déliée

    Délivrée

    Une de celles qui consolent, qui embrassent, qui enlacent

     

    Là, ici, entre nous

    J’ai vu le début d’un signe

    d’une lettre

    L’amorce d’un mot

    et de milliers de mots

    Car n’importe quel mot,

    destiné ou pas

    à toucher,

    en déchaîne mille autres

     

    Là, ici, entre nous, j’ai vu

    Une manière de se tenir

    Un seuil inventant l’autre rive

    Ni assaut conquérant, ni servilité

    Une voix

    affirmant avec force 

    Ce littoral de l’homme où nous nous tenons désormais

    Désarmés

     

    Fils indigents de la peur et de l’amour

     

    Isabelle Pellegrini

     

    **

     

    J’habite une île à géographie variable.

     

    Couleur lumière

    grenaille de l’air

    mouvances formes    varient

     

    avec le temps

     

    temps des saisons et

    temps qui passe

     

    vélocité extrême de l’été

    extrême lenteur de l’hiver

     

    rapidité excitation exubérance

    clameur bruyante trépidation

     

    étirement des jours immobilité

    figée    les brumes  s’effilochent

    sur les rives        grimpent à l’assaut

    des pentes      silence

     

    lumière aveuglante des beaux jours

    la chaleur dilue les contours

    criques noyées dans une écharpe

    de blancheur

    tremblé de l’air chauffé à blanc

     

    bourrasques de l’automne

     

    pluies et vents nettoient les reliefs

    jusqu’à l’os

     

    les découpes des côtes

    se rapprochent

    lignes de corniche se touchent

    s’épousent dans le miracle

    d’une jonction imprévue

     

    les distances s’abolissent

    fusionnement des montagnes

    plissements pris dans l’imperceptible

     

     

    une révolution secrète

    hercynienne silencieuse

    reconfigure à son gré

    le paysage

     

    crépitements     crissement incessant

    stridulations le maquis grésille

    cigales et cistes 

     

    chaleur qui danse

    mer tout entière tenue

    dans son miroitement

     

    chacun aspire à son insu

    à l’ultime plongeon

     

    en

     

    eau profonde

     

    union des corps avec la vague

    roulis bercements réguliers

    qui ramènent

     

    avec

     

    coquillages et grains de sable

    le sentiment fugitif

    de l’éternité retrouvée

     

    quelques semaines

    à peine

     

    et tout bascule

     

    l’immobilité a changé de forme

    les formes ont changé de couleur

     

    avec les pluies et le froid vif

    le temps est aux morts

     

    et les morts ponctuent

    les jours

    de leur chant

    triste

    délivrance.

     

     Angèle Paoli

     

    **

     

    Et pour finir ce texte d'Henri Tramoy, à arpenter en lecture aléatoire, horizontale, ou colonne après colonne :

    Adieu à Bagdad.jpeg

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Bran reprend du service

     

     

                                                                                                         à ceux de la bande à Charlie,

                                                                                   à leurs proches, aux ami-e-s inconnu-e-s

                                                                                  du 7 janvier 2015

     

     

      Alors Bran monte sur son tabouret, un coquelicot entre les lèvres. Et il ouvre les guillemets : « Puisque Dieu-unique-grand vengeur débarque ainsi avec vos joujoux tueurs entre les mains pour faire de tels ravages, je salue Dieu-le-petit, le minuscule, le rabougri, le souffreteux, le malingre, le sans article défini, la petite chose, le rien du tout, le si invisible qu’il n’a plus besoin de vos délires boursouflés pour pisser comme il l’entend sur le bord du chemin et blaguer de bon cœur avec les vaches de derrière les barrières. Je salue Dieu-bulle d’air sans prête-noms, Dieu d’une maille à l’envers et une maille à l’endroit, le faufilant dans le filet de toutes les croyances, je salue Dieu-brin d’herbe et moins, si affinités, et moins encore au fil de l’eau lonlère, lon la… »

     

      Bran a épuisé son stock de salive, il emporte avec lui les guillemets pliés. De sa poche trouée il sort ensuite un mouchoir en papier pas encore mâché au dos duquel il s’envole. À la grande surprise des aiguilleurs du ciel. Et toc ! Cloués au sol, ceux dont les oreilles sifflent de cris et qui cognent les murs en pure perte de leurs impacts prophétiques.

     

      Ni vu, ni connu, Bran, pendant ce temps, parti dans la trouée d’un nuage. On l’entend juste grommeler  dans une langue connue de lui seul, et encore les jours de premier quartier de lune, ces quelques mots : « faut pas charrier, à la fin… »

     

                                               Dominique Sorrente

     

    herbe sur neige.jpg