
@photo O.Bastide
Quel beau moment que cet intervalle du samedi 22 novembre au cours duquel, une fois n’est pas coutume, nous avons partagé non seulement des temps de lecture, mais aussi d’écriture.
Ce matin-là, nous avons fait éclore le « Sourire des mots » en nous prêtant au jeu et au plaisir d’un atelier d’écriture conduit par Henri Tramoy, en suivant le chemin qu’il avait balisé pour nous avec plusieurs propositions successives :
« En premier, entre deux mots choisir le moindre, à moins que l’autre.
En deuxième, sa calligraphie enluminée ; ce qui lui fait escorte, en fragments.
Puis se construisent d’autres mots de ses lettres, de ses sonorités : sa matérialité.
De mon tout, faire effervescence : tu tisses, tu tricotes.
Voici matière à sa réécriture : en un, le faire sourire ; en deux, lui imposer contrainte.
Enfin, livré au polissage. Et sa cerise. »
À ce jeu, inédit pour nombre d'entre nous, chacun s’est trouvé engagé dans une expérience singulière, excitante, intrigante, voire quelque peu déstabilisante. Où nous avons pu éprouver in situ ce qui est sans doute au fondement de tout acte d’écriture, la recherche du juste équilibre - parfois de l’ordre d’une lutte, entre production effervescente (où prime le jeu avec la matière du langage plus que la recherche du sens), et structuration du texte.
Chacun à son niveau a pu ainsi éprouver cet état particulier de régression du moi qui est à la source de tout état créatif, jubilatoire pour certain, angoissant pour d’autres, qui nous met au contact de notre petit « chaos intérieur », et permet qu’advienne ce qui est ordinairement censuré. Pour dans un deuxième temps, par l’imposition de contraintes, ou de règles d’écriture qui paradoxalement nourrissent la liberté d’écrire, passer de cet « avant-texte » à la production d’un texte inédit.
Dernière étape, émouvante s’il en faut dans cette expérience collective, la mise en bouche des mots, le partage par le passage à l’oralité. Après avoir collecté les différents écrits et les avoir redistribués de façon aléatoire entre les différents scripteurs, Henry nous a demandé d’en faire lecture à voix haute, avec la consigne de « le faire aimer » aux autres membres du groupe.
Ce fut le cas. Nous avons aimé, nous avons souri, nous avons ri.
Isabelle PELLEGRINI
*
Voici quelques unes de ces productions :
ROUGE SENT
GÉRARD BOUDES
Rouge de honte, l’étais je en écoutant cette virago
Au verbe haut, égrenant ses ragots de ses lèvres tomate ?
Voilà que je rougissait jusqu’au nez.
Irrité comme un coq dressé sur ses ergots,
Grattant le tapis de mes pieds aux chaussettes écarlates,
Observant les couloirs aux tomettes bordeaux,
Tentant d’apercevoir le Raminagrobis invisible,
Espérant de respirer le fumet chauffé sur les braises rougeoyantes,
Ravigoté par la seule odeur, mon impatience montait, je voyais rouge
***
L’ALLITERATRICE PATENTÉE
MIREILLE DESTANDEAU
Si par un soir d'hiver à Tulle
Tu entends hulluler Gudule
C'est qu'il n'est plus, le temps léger
Le temps léger des libellules
C'est sûrement la faute à Ursule
Qui toujours ment,
Et ment tellement
Que c'est pour Gudule un tourment
S'en est coincé les mandibules,
Pauvre Gudule
Serré crispé tellement il est
Sur ses noyaux de vérité
Si par une nuit d'hiver, allez!
Le hullulement de Gudule
Te rappelle des vérités
Pas si faciles à digérer
Alors illicico va lever
L'allitératrice distinguée
Qui sait trouver des arrangements
Des agencements inédits
De subtiles atermoiements
avec la langue la belle lalangue
Et entourlouper ta pensée
Par des tournures bien lestées
Du feu tu n'y verras que
Plus rien ça ne te dira
Et ta vérité dormira
A l'hôtel des libellules
De Tulle de Tulle.
***
LA FIGUE ET LE PRÉ POUR PARTENAIRES
OLIVIER BASTIDE
Je suis assis sérieusement et pense.
La nappe est bleue !
Bleue pour ludique pâture, marée endimanchée
effeuilleuse de dictionnaire.
La nappe est bleue,
par contrainte et choix ;
j'en fais mon sens et mon contresens,
ma vitalité de skieur marmoréen.
Je range le blizzard, les volutes
et le stupre,
tout mon méli-mélo.
Silence !
***
VATI-CINER
ISABELLE PELLEGRINI
Vaticiner ?
Présent !
Que faites-vous Vaticiner ?
Je m’en vais.
Comment ça vous vous en allez ? Vous êtes pourtant sensé être ici, parmi nous, bien ancré sur le socle de la réalité et du sens pour nous pour pouvoir nous prédire l’avenir !
Certes, mais je ne vois plus les choses ainsi. C’est à cause de cette petite faille qui s’est faite jour en moi depuis hier. Une faille infime, jusque là passée inaperçue, et qui s’avère dorénavant incommensurable.
Vaticiner je n’y comprends rien. Depuis le XVème siècle vous nous parlez comme un oracle, tout le monde est suspendu à vos lèvres pour entendre vos prophéties…
Je vais continuer à parler, oui, mon ami, je vais continuer à m’exprimer, mais plus comme vous vous y attendez. Car cette petite faille, survenue entre deux de mes lettres, elle m’a fissuré, elle m’a fait vaciller, et finalement m’anime d’un souffle neuf.
Au début je doutais : « Va-t’y, va-t’y pas… », me demandais sans fin. Et puis la faille m’a répondu : « Si, si, va bene, va, vis et reviens ! »
Alors je me suis élancé. Porté par la curiosité et ma nouvelle légèreté je me suis envolé, haut, très haut au-dessus du vide. Loin de la lourdeur ancienne et de la gravité je file, je vole, je virevolte.
Et depuis de là-haut j’invente l’avenir qui donnera sens au passé.
***
PETIT FRONCEMENT DE LA LANGUE
HENRI TRAMOY
Où la vie s’ébouriffe
se retourne la source le cercle la toile
au loué de l’étoile
La langue a l’âme du violon
langue joufflue alerte en ses rondeurs
partage de méandres et mésanges
Rire dedans silencieux
geste ourlé de la lèvre
au bord joyeux du trou
du trou joyeux de la langue
que le décor déroule
dont il lâche les cordons
et la fronce de gorge et d’orge
épouse sa courbe ses robes et la dérobe
Menue elle menuise elle s’amuse
et roule et claire elle claironne
ou tonitrue
se désaliène sous des mots roux.
***
ERIANEGANON OU LA VIE COMME ELLE VA
DOMINIQUE SORRENTE
à ma mère entrée dans la neuvième dizaine
avec une sagesse renversante
Navrante histoire où j'en reviens toujours, celle de ce garage
Où son entreposés les
Nerfs Ils sont là en train de ronfler
À côté des nonnes quinquats.
Génésis en statue
Érigé à l'entrée.
Nuit survient alors de la voix d'al-Hallaj, nuit passée
À proférer la sentence du jour
Irradiant: "Centenaire à Gênes, millénaire à Tokyo!"
Réponse sobre et décisive d'Erianeganon: la vie décidément est un
Éternuement de sauterelle..."