Les Géographies aléatoires de notre dernier intervalle nous ont bousculés, chamboulés, déplacés.
Du Marseille sortie de la mer, de Supervielle : « Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière qui se mêle à la conversation »
À l’Urani de Fiodor Tiouttchev : « Il est là ! Est-ce un rêve ? Le monde nouveau/M’apparaît ! »
En passant par les oasis de palétuviers de François Caradec : « Je sais voyager dans une valise/et je n'ai pas besoin d'avion supersonique/pour filer tout droit vers les oasis de palétuviers/où roucoulent d'une voix mourante/chairs roses chairs flasques chairs molles/vahinés des vahinés tout n'est que vahinés. »
Ou encore Le Château Cathare de Jean Malrieu : « Et puis revient la nuit sereine, les arbres reprennent leur course. Les troncs dégagés courent pour nous rattraper. Et nous, après quoi courons nous ? »
Nous avons partagé des envolées poétiques quasi cosmiques, des voyages intérieurs étincelants, des navigations à-vue, et des bascules de temps, lorsque l’actuel rejoint le passé.
L’aléatoire a été celui des territoires géographiques, de leurs fleuves et de leurs chemins de traverse, mouvants et incertains
Mais également celui de la mémoire, de l’ivresse, et du travail de la langue qui, entre polarité de sens et polarité de langage, n’a eu de cesse de creuser son sillon.
L’aléatoire de notre humaine condition, tout compte fait, en laquelle, indéfectiblement, nous croyons (« Je crois en l’homme, cette ordure », Lucien Jacques),
Et puisons inlassablement notre désir d’écriture.
Ci-dessous quelques unes de nos productions aléatoires.
La ville des pirates
Permettons-nous
d’apprendre à mourir
Pour que vienne le tombeau
des derniers hommes libres
Pour n’être que l’île
en l’archipel
où les vents
emportent la voile
de nos os
Avec la rumeur sans cesse
et tout le sel
de l’océan
pour naître ou renaître
Zeus en son palais
ou Adam en son jardin
Et retrouver le Nom…
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Terre partagée
Noires s'étendent les ombres le soir
sur la langue absente de la terre
aucun son ne frémit à l'étripage
de la glèbe les champs familiers
disparaissent tu tombes
dans le vide où se plie la nuit
A l'horizon de l'Est Jupiter se lève
chasse les ours et le sagittaire
les étoiles se séparent
le ciel en étincelant effleure
ses bords gagne le devant
et te reporte dans les ténèbres
Le jour est dessiné dans le sable
entouré de ruisselets îlots
de paillettes et de rêves d'écaille
agitation fébrile sous les vieilles pierres
des bouts de nuages clament les goélands
sur terre tu vis jusque l'eau s'en vole
Leonor Gnos
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Improbable bateau, ivre géographie
Je prenais une page blanche
Et
Comme je descendais les fleuves impassibles,
Je me pris à flotter et sentis sur mes flancs,
Que les flots m’emportaient aux lointains invisibles
Et
Regardant par dessus les plat-bords, j’entrevis l’océan.
Devant moi, chaque vague descendait et plissait
Quelques Alpes nouvelles qu’une autre refaisait.
Je dansais emporté par les monts et les vents,
J’étais loin moi aussi des anciens parapets,
Tel celui qui vécut si longtemps au rebord
Du monde.
Gérard Boudes
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Blanc sur blanc
(extrait)
au songe du fleuve Mckenzie
C’est là.
Une lumière frange les bords.
On est saisi.
On se resserre.
On creuse à l’hivernage.
Les vents viennent du Nord.
Milieu blanc, cristallin.
Parfois se dessinent un détroit, un chenal.
Pour combien de temps ?
Partout les glaces verrouillent.
C’est là.
Ou bien c’est là.
Quand ils se retirent du trafic,
les gens rêvent des rêves incroyables.
**
La mer de glace.
C’est comme écrire.
Méandres, labyrinthes.
Ce qui gribouille, ce qui s’efface.
Et rien sur rien. En attendant qu’une forme prenne.
Le blanc d’ici,
grand frère
de celui qu’on donne à manger à l’imprimante.
Si les glaces empilent,
le passage redeviendra impossible.
Une fois la porte fermée, c’est jusqu’à l’année suivante.
On sera comme
kayac échoué sur banc de sable.
L’horizon joue à l’horizon,
les cartes sur la table.
La route qu’on pourra emprunter n’est jamais écrite d’avance.
C’est là.
Ou bien c’est là.
Comme delta dans le désert du fleuve Okavango.
...
Dominique Sorrente
**
Littoral de l’homme
Territoires rêvés
territoires emportés au loin, là-bas
Loin de ce monde
Loin
Archi loin
Après l’humain ?
Non, pas si loin
Là, juste là, ici, entre nous
J’ai vu un paysage se lever
Un glissement de ciel dans un jour de sel
Et l’invisible de l’autre côté du vent
Là, ici, entre nous
J’ai vu se dessiner un trait, épais
Charbonneux
pas vraiment charbonneux
- un trait de plume
Une arabesque
Déliée
Délivrée
Une de celles qui consolent, qui embrassent, qui enlacent
Là, ici, entre nous
J’ai vu le début d’un signe
d’une lettre
L’amorce d’un mot
et de milliers de mots
Car n’importe quel mot,
destiné ou pas
à toucher,
en déchaîne mille autres
Là, ici, entre nous, j’ai vu
Une manière de se tenir
Un seuil inventant l’autre rive
Ni assaut conquérant, ni servilité
Une voix
affirmant avec force
Ce littoral de l’homme où nous nous tenons désormais
Désarmés
Fils indigents de la peur et de l’amour
Isabelle Pellegrini
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J’habite une île à géographie variable.
Couleur lumière
grenaille de l’air
mouvances formes varient
avec le temps
temps des saisons et
temps qui passe
vélocité extrême de l’été
extrême lenteur de l’hiver
rapidité excitation exubérance
clameur bruyante trépidation
étirement des jours immobilité
figée les brumes s’effilochent
sur les rives grimpent à l’assaut
des pentes silence
lumière aveuglante des beaux jours
la chaleur dilue les contours
criques noyées dans une écharpe
de blancheur
tremblé de l’air chauffé à blanc
bourrasques de l’automne
pluies et vents nettoient les reliefs
jusqu’à l’os
les découpes des côtes
se rapprochent
lignes de corniche se touchent
s’épousent dans le miracle
d’une jonction imprévue
les distances s’abolissent
fusionnement des montagnes
plissements pris dans l’imperceptible
une révolution secrète
hercynienne silencieuse
reconfigure à son gré
le paysage
crépitements crissement incessant
stridulations le maquis grésille
cigales et cistes
chaleur qui danse
mer tout entière tenue
dans son miroitement
chacun aspire à son insu
à l’ultime plongeon
en
eau profonde
union des corps avec la vague
roulis bercements réguliers
qui ramènent
avec
coquillages et grains de sable
le sentiment fugitif
de l’éternité retrouvée
quelques semaines
à peine
et tout bascule
l’immobilité a changé de forme
les formes ont changé de couleur
avec les pluies et le froid vif
le temps est aux morts
les jours
de leur chant
triste
délivrance.
Angèle Paoli
**
Et pour finir ce texte d'Henri Tramoy, à arpenter en lecture aléatoire, horizontale, ou colonne après colonne :