Afin de prolonger la précédente note, voici ici quelques textes lus lors de la Caravane poétique du 9 octobre 2021 à Saumane en Vaucluse
Et pour saluer le mouvement et la quête de notre exercice, cet extrait de Francis Coffinet :
Tu n'as qu'effleuré
la grande science des pas
écarte le but
déleste le souffle
Le rythme
c'est l'herbe qui l'inculque
( Je suis de la maison du songe, éditions Unicité )
*** *** ***
Il n'est pas nécessaire aux éclatements de se rendre anodins.
Robert Roman
( revue Wam)
*** *** ***
Celui qui tire le fil de l'eau jusqu'à ce qu'il casse n'est pas encore né.
*
Mieux vaut caresser le fur que battre la mesure.
*** *** ***
Une muse et le vêtement de fil d’eau
J'avais recueilli dans le courant, de pleines bassines, de pleines pelotes, de pleines bobines, pour te faire un vêtement de fil d'eau.
A l'approche de l'hiver je ne voulais pas que tu aies froid ma muse, dans les premiers vents d'octobre. En parcourant les sentiers du côté de Saumane, j'ai croisé ton chemin muse, tu frissonnais au bord du torrent. J'étais tailleur, colporteur sur la route de Provence, venu d'une lointaine contrée d'Orient.
C'était un fil fin, ample, souple à tisser, j'en ai fait une rame, tant et tant confectionné, que de cette toile étincelante je te fis un vêtement clair qui couvrait ta nudité comme une gaz antique de soie.
Mais le vent d'octobre curieux et fripon a soufflé sur la robe, le chemisier et les jupons, et le fil de l'eau a séché : te voici de nouveau nue au bord de l'eau.
Il existe tant de fils, de soie, de lin, de chanvre, de laine et autres fibres que tant de mains habiles ont façonnés, mais bien malin ou sorcier celui qui saura durablement tisser le fil de l'eau, le fil des mots.
*** *** ***
Quand les maisons se construisent sur le sable
L'île
est une mer
toujours dans l'alternance
des marées
elle laisse les gens
venir et s'en aller
et quand ils embarquent
elle enseigne aux habitants
à monter sur les vagues
les maisons se construisent
sur le sable
pour chaque nouveau-né
un dauphin
nage dans la chambre
in Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, paru aux éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, p.34
ainsi se fraye
la lumière
une brèche
dans l'eau
et pourtant
elle ne tombe pas
sur tous les
disparus
dans les océans
du monde
ibid p.59
Pour donner signe de vie à tout ce qui survit et nous interpelle dans l'ombre, le poète ajoute :
ça continue
ici l'eau
bouge
aussi dans la baie
les lignes brillent
les yeux changeants
en prennent leur lumière
comme si la nuit
restait à quai
ibid p.65
la lumière blanche
s'inscrit
dans la mémoire
et sèche le sang
tu arrives trop tard
mais tu ne sais pas
si tu aurais trouvé
le courage
de résister
à la violence
ton stylo tremble
toujours et
des yeux reposent
sur toi comme
si tu pouvais
nommer les noms
ibid p.83
*** *** ***
Une eau échappée belle
Quelle approche limpide !
Le ciel bas alité s’incline pour émouvoir
le pont éclaboussé comme si de rien n’était
Heureuse abondance et éclairs de génie
la rivière et la pluie se rejoignent ici
dans le ton de la confidence intime
Une EAU échappée belle des perles funambules
un mélange d’éléments au parcours exalté.
En habit translucide la forêt elle rassemble
ses joyaux et tient tête aux amas boursouflés
Laissant cavaler ses couleurs un arc-en-ciel
comprend l’irritation de ce rien monotone.
Le vertige gagne là en ampleur expressive
et réclame du ciel un finale glorieux.
Qu’entends-je de l’écho entre ces vifs élans ?
L’orage éclate encore et Didon se lamente
Souviens-toi de ses pleurs des nuages pendants !
*** *** ***
FILATURE SACRÉE
On ne dénoue pas les fils° de l'eau.
On les laisse comme dans la flottaison des branches proposer leurs dérives, leurs rencontres,
leurs façons de pérégriner à fleur d'aventure.
Parfois ils s'emberlificotent.
On les regarde entreprendre des nœuds invraisemblables. Et on se demande comment ils parviendront à s'extraire de ces mauvaises séances.
On appelle cela les harassements du quotidien.
Puis, sans qu'on sache trop pourquoi ni comment, ils s'étirent à nouveau, dissipent les jointures, détendent leurs muscles et reprennent leur souffle.
Les fils° de l'eau sont ainsi, libres, sans tracé d'avance, sans humeur qu'on maîtrise. Et il n'est pas possible de croire qu'un rocher ou deux entravera longtemps le cours des choses.
Les fils° de l'eau procèdent du peu à peu, qui n'est même pas un pas à pas, parce qu'il glisse en continu, ou tout au moins, avec une ponctuation invisible à l'œil nu. Il brouille l'esprit des repères saillants, des haltes incisées, des sauts sur galets, des points limites entre deux phrases.
Et tant pis pour ceux qui rêvaient de bivouacs, et d'encoches, de dates et de mausolées!
Il n'y a rien de tout cela à attendre d'une descente des fils° de l'eau en ce monde.
Ça coule de source, disent les furtifs qui ont renoncé à intervenir pour mieux prendre corps.
Ça vogue et ça s'adonne, pensent les coques de noix joueuses.
Ça se voue, ça chemine sans chemin, s'étonnent les perplexes, les marqueurs du temps ordinaire.
mais vous,
vous qui partez, chaque aube, toujours en quête
de sagesse volée aux dieux, aux riens, aux herbes, aux nuages,
vous qui soupesez chaque jour, d'une rive à l'autre, pour laisser aux fuyantes toute leur place,
regardez bien où va le coude de la rivière sans nom.
Là-bas, il est un songe plus insistant que chacun des voyages de notre humaine condition.
Là-bas qui est ici déjà, les fils° de l'eau
deviennent
les FILS* de l'eau,
et notre joie tenace, surabondante, est de les savoir accueillis.
°thread en anglais
* sons en anglais
Dominique Sorrente, 9 octobre 2021
*** *** ***
9 octobre 2021 © emmanuelle sarrouy