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Lettre à Yves Bonnefoy de Christian Gabrielle Guez-Ricord

       

       UNE LETTRE À YVES BONNEFOY

   

 

                        Lourmarin, 8 mai 1971

 

  Cher Yves,

 

à Lourmarin pour préparer mon examen de sortie et jusqu'à mardi.

Puis l'affrontement avec les juges du savoir mais ma vie ne passe pas par eux sinon occasionnellement. Ce diplôme me permettra je l'espère d'être professeur d'économie politique pour quelque temps., de quoi vivre donc poursuivre la vie qui est la mienne et qui est du reste à côté de la vie toujours. Maison Dieu est terminé. Vous l'aurez bientôt. 

 Cènes qui vous est dédié reste à construire, à faire entrer chaque poème dans une certaine détermination ou déterminisme, non formulée ailleurs: le pluriel perpétuel du sens, un essai en cours ou plutôt somme de fragments et puis d'autres. Quand sort L'arrière pays ? Vous savez combien j'attends chacun de vos livres. 

Inquiet de savoir le lieu où vous conduit la pensée que vous avez commencée///penser, c'est toujours commencer à penser///

Quant à moi il  y a une œuvre que je poursuis secrètement, dont la racine est dans la conversation que j'ai eue avec vous en juin 1968.

Cette décomposition du langage par la cabale chère à Villon ( la Coquille), par la méthode d'un Pound ou d'un Burroughs.

Je rêve d'un poème, d'une langue qui mangerait toutes les autres mais pour cela je choisis la prudence et le secret.

 

Je travaille à d'autres à d'autres textes, à d'autres idées de livres

...On n'invente pas une langue aux yeux de tous. Il s'agit en fait de l'inverse du lettrisme, une totalité du sens, des sens qui contiendrait en elle-même sa propre négation. Ce que je dis, je le dis dans tous les sens. Du reste, Rimbaud faisait-il un jeu de mots sur le mot sens ? ( organe ou signification). 

J'aimerais avoir votre avis là-dessus. Ce grand déréglement de tous les sens. Est-ce une poétique ou mode de vie et mode d'écritue sont un ? Ce que j'ai essayé en juin 68 chez vous avec mon amie Pascale, vous souvenez-vous. Le délire était porté par un langage de tous les sens. Dérèglement entre la vie et la parole. Le délire est revenu en 69 à Strasbourg à chaud. Maintenant le déréglement de tous les sens est à froid. Ce soir, par exemple, long regard sur le coucher de soleil au-dessus du Luberon. Une heure d'hallucinations merveilleuses. Je crevais les yeux au réel, littéralement. Tous les plus beaux visages qui soient défilaient devant moi dans l'azur inconnu. Ah, cette vie mentale, j'ai payé pour ce spectacle dont je mourrai peut-être et sans le regretter.  Les médicaments ne font qu'éviter que le mal empire, ils endorment les symptômes mais le mal demeure comme l'Oeil splendide. ...

Il faut avoir été fou pour connaître toute la gamme de "moi" différents que l'on porte avec soi aux détours de la vie. Parfois un autre entre subitement en moi et me voilà avoir d'un coup la même sensation qu'en juin à Zürich chez Racine ou en 69 dans l'hôpital de Strasbourg. Merveille de la mémoire/ réactivée//chez Proust. C'est bien ça.

Ainsi je me rencontre moi-même par hasard. Diversité fabuleuse et enivrante. S'y nourrir sans s'y perdre. S'y jeter comme dans un puits mais garder le nom du puits avec soi, la sauvegarde infinie de la parole.

 

Bien à vous, à notre prochaine rencontre, en attendant de vous lire.

 

           vôtre

                        Christian Guez



extrait de la revue Sorgue n°2, Le Bois d'Orion, décembre 2000.

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