On réussit parce qu’on est compris. De qui ?
Max Jacob
Cet homme-là n’est sans doute pas fréquentable.
Il vit toute sa vie dans des chambres, passe
des heures indues à lire les lignes de la chance.
C’est bien clair, il dérange son monde
et son temps. Et les nôtres l'ignorent facile
sous l’escalier.
On le croit d’abord peintre, mais l’ombre portée de sa gouache
lui a fait prendre plume.
Et encore ça chatouille.
Un jour où le récit l’ennuie de trop,
il vous saccage l’intrigue comme boule de papier mâché
tandis qu’ami Pablo penché à sa fenêtre
brise la perspective.
Dispersez-vous ! Dispersez-vous ! dit la conscience
qui ne croit pas le moins du monde
à la vie uniforme.
Et l’homme recycle,
il recycle tout ce qui passe par pertes et profits.
C’est le tourniquet des portraits.
Les autres, en secret, et même l’Apollinaire,
comptent sur leurs doigts en cachette.
Mais lui, n’en finit plus de se raconter sous ses masques.
Pire encore, il gratte en primitif dans le souterrain des évangiles.
C’est le visage du Christ ou d’un ange indélébile
sur le mur rouge. Jamais, dit-on, le mur jamais
ne s’en remettra tout à fait.
Pas malin pour ceux qui aiment l’inféodé,
il ne cesse de rompre avec ses milieux. Il part, il s’ennuie.
Il vend des gouaches. Il repart. Toujours pinson primesautier,
en bord d’effondrement.
Il dessine des fantaisies à volonté, risque pastiches à la pistache,
glissant ici et là perturbations en chapelets.
À la fin, quand t’arrêteras-tu de dissiper la galerie ?
Populaire ou profond, il faut choisir, monsieur, lui a-t-on dit.
Alors, quand son escorte mortifère l’emmena, sans retour,
seul face à son dernier panier de fruits,
il s’est mis à jongler.
Dominique Sorrente