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  • L'An X à ouvrir

     

     

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    PAS DE SOUCI…PAR CONTRE…

     

     

     

    Ce dialogue au sommet des mots,           

    pour saluer l’année 2010…

     

     

     

    À l’heure où je tente de vous parler, il est évident que c’est bien lui qui occupe le haut du pavé, qui défraie la chronique, qui ponctue nos existences quotidiennes. Et même pour mettre en ébullition les gouvernants qui s’échauffent, au lieu de faire refroidir la planète, il s’invite à la table.   En trois mots comme un seul !

     

    « Pas de souci »  règne en maître à chaque bout de phrase.  Il est le mot de passe semi-conducteur de l’instant. Un sésame pour les conversations. La palme d’or de la réassurance. Bientôt on commencera tout échange ordinaire, non par le banal Bonjour qui perd de plus en plus de terrain, mais  en posant devant soi, avant toute parole, une effigie  de : « Pas de souci ».

     

    À dire vrai,  je ne connais à « Pas de souci » qu’un rival sérieux.

     

    Ce n’est plus depuis des lustres « Par ailleurs », qui a pris un terrible coup de vieux avec ses lunettes d’universitaire sur le retour. « Pour autant », ronfle trop souvent dans son sofa devant son écran  pour faire froncer les sourcils. « Quoique… » tente quelques percées, mais ses bégaiements l’empêchent de s’imposer durablement.

     

    Personne ne saurait miser sur le trop scolaire « Cependant »,  ni sur ce pitre repenti  qu’est « Néanmoins ».

     

    « Cela dit », bien qu’il soit mieux élevé que « Ceci dit », est trop consciencieux pour  répandre de l’inquiétude, au-delà des quelques secondes d’usage.

     

    D’évidence, aucun de ceux-là n’arrive à la cheville de « Pas de souci ».

     

    Non, le seul qui tienne la route aujourd’hui  s’appelle « Par contre ». Quel caractère celui-là ! « Par contre » a damé le pion à « En revanche » ; il a mis un chapeau de clown au latin « A contrario ».  Et maintenant, il se répand, tel une algue langagière, sans que personne ne puisse contrecarrer sa tendance  naturelle à l’expansion.

     

    Bran sent bien qu’une rencontre au sommet doit avoir lieu entre les deux seigneurs du moment. À ma droite, « Pas de souci », avec ses airs d’angoissé qui camoufle… » À ma gauche, Par contre », en empêcheur de tourner en rond. Messieurs, à vous de jouer. Quel match en perspective !

     

    On ne compte  plus les rounds qui eurent lieu entre nos deux héros. Chaque fois que « Pas de souci » annonçait la couleur, « Par contre » renversait les tubes ; quand « Pas de souci » claironnait un monde à sécurité optimale, « Par contre » donnait de la grimace, comme si quelque chose devait inexorablement se gripper. Au jeu de la grippe, justement, « Pas de souci » fut  remarquable  pour distiller les perles d’inquiétude  dans l’enveloppe de sérénité ;  « Par Contre », de son côté, lui tînt la dragée haute, avec ses aimables klaxons d’avertissement et ses doses de culpabilité sucrée.

     

     

    Le pays vécut ainsi dans ce vis-à-vis quotidien et démultiplié qui s’emparait de toutes les conversations dans les chaumières et en dehors.

     

    Pas de souci,  prévenait le chauffeur de bus.

    Par contre, murmurait la petite dame au chien.

     

    Pas de souci,  claironnait le gouvernant.

    Par contre, répliquait en jazzant le peuple.

     

    Pas de souci, dictait la maîtresse à la craie.

    Par contre, objectait l’écolier rêveur.

     

    Pas de souci, annonçait la nuit.

    Par contre, réclamait l’insomnie.

     

    Et peu à peu, c’est à l’intérieur de chaque habitant  que le dialogue au sommet fit entendre sa ritournelle.

    Pas de souci, je suis le meilleur.

    Par contre, je pourrais attraper froid.

     

    Pas de souci, je vais rembourser mon emprunt.

    Par contre, je vais en baver ce qu’il faut.

     

    Pas de souci, la terre est ronde.

    Par contre, elle ne tourne pas trop bien.

     

    Et ainsi de suite en suite, de suite en suite…

     

    Bran se demandait comment tout ce dialogue inlassable  pourrait  un jour finir.

     

    C’est alors qu’il finit par dénicher, dans un coin de sa chambre qu’il n’avait pas dépoussiéré depuis longtemps, une forme sans forme, comme un habit hors d’usage, une sorte de breloque indéfinie, un objet sans carte d’identité, un vocable mou et fier à la fois, inconsistant et sûr de lui, une sorte de mutant sans passé et sans avenir, mais semblant heureux de son sort, une présence en creux narguant tous les usages conformes.

     

    Il convoqua « Pas de souci » et  Par contre »   au centre de la pièce, leur demanda de se regarder les yeux dans les yeux, sans loucher.

     

    Puis défiant toutes les lois de la pesanteur verbale, Bran s’exclama dans son plus tonique charabia local : 

    « Autant pour moi ! »

     

    « Pas de souci » et « Par contre » disparurent sur le champ, honneur perdu et tout le reste. Ce n’est que le matin suivant, profitant de l’amnésie ambiante, que nos héros recommencèrent leur manège routinier, avec quelques écorchures en plus.

     

    Mais ceci  est une autre histoire qui mérite bien de ne pas être racontée.

     

     

     

    Dominique SORRENTE