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  • JEAN – MARIE BERTHIER, dans le débordement de la vie   (1940-2017)

     

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    Jean-Marie Berthier, l'ami poète, est décédé brutalement dans un accident de la circulation le 8 août.

     

    Le Scriptorium (dont il fut dans les échanges de 1999 un des "inspirants") s'associe à la douleur de la famille et des proches, et présente ses condoléances attristées.

     

    Ces quelques mots pour accompagner notre ami lors de la cérémonie d'adieu à Bourg Saint-Maurice, et dire un peu de notre affection bouleversée.

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    « Un oiseau dit

    c’est la fin des arbres

     

    et sur la dernière feuille

    d’un érable ébloui

    il s’endormit

     

    dansant sur la branche

    de sa nuit de feu

    le clair-obscur de sa naissance. »

     

    C’est une voix, une présence, une façon de tenir debout, et même quand ça tangue, et surtout quand ça tangue.

    C’est tout cela qui nous parle dans l’absence vertige d'aujourd’hui.

    L’ami poète de toutes ces années, à quoi ressemble-t-il ? Une croyance, chevillée à l’âme, parcourant les rencontres : celle du poème en quoi se recueille - Jean-Marie y croit dur comme fer - ce qui fait la ferveur du monde. Cela ne se négocie pas. C’est toujours dans ces mots de brûlure, flairant l’inatteignable, que nous le retrouvons. Pierre Seghers l’avait deviné.

     

    Et le doute aussi, non pas mis de côté, mais pour ainsi dire recouvert d’une écorce, placé en terreau pour que quelque chose d’indicible advienne.

     

    Jean-Marie écrit avec tous ces tiraillements, ces angles vulnérables, mais aussi le désir de surmonter par la seule et très pauvre intercession des mots les scènes accablantes. Donner sa chance au jour qui vient : cela souvent se passera ainsi. Sur un fil d’or, en rebord du monde. La vie vacille, mais elle est sortilège.

     

      Combien de fois aura-t-il joué cette scène de la pure tragédie : rouler entre les paysages, heurter un talus, perdre le contrôle, puis reprendre les esprits qui le protègent et ont choisi de le conduire plus loin ? Sa vie est ainsi faite, et sa mort lui ressemble.

     

    L’auteur de « Le guetteur est aveugle » connaîtra jusque dans les derniers instants - il me l’avait confié - la solitude des porteurs d’ombres. Et au rebond de ces instants-déserts, un appel téléphonique, un geste amoureux ou amical, une nouvelle tâche décrétée impérieuse, un rire à mettre au milieu de la table pour défier la nuit. Le « pèlerin des lueurs » reprenait du service. Une forme de mission à accomplir en humanité, avec en médaillon la présence sacrée de ses proches. 

     

      Jean-Marie avait de l’amour en besace, comme un trésor à multiplier, sans se soucier des calculs froids. Il vivait « côté cœur » à temps et à contretemps, à l’exact opposé des mondes des indifférences, des combines, des arrangements. En somme, en sa compagnie, jusque dans les séquences d’étincelles ou d’humeurs orageuses, il y avait peu de risque d’apprendre le verbe « s’ennuyer ».

     

      Sa vie durant, il parcourut les cinq continents, comme professeur de lettres, enseignant la langue française un peu partout avec la même passion de transmettre. Il a aussi rencontré des humains de mille sortes, sans jamais différencier les rangs. Ses engagements publics à Bourg Saint Maurice l'attestent. Avec son sens de la persuasion complice (peut-être tiré de ses origines marseillaises qu'il revendiquait!), son goût pour la plaisanterie, avec à portée de main les munitions en salve de la conversation, des plats mijotés à partager d’abondance, une bonne bouteille même si les langues n’avaient pas besoin d’être déliées. Avec aussi ce généreux excès de vivre qu’il puisait dans son enfance, et savait remettre en action comme une dynamo insubmersible, après chacune des terribles épreuves de sa vie d’homme, et de père.

     

      Oserai-je le dire en souriant, Jean-Marie Berthier menait une vie en oxymore? Portant cette figure de langage en forme de relation au monde. Comme un battement diastole-systole haletant, une dialectique suspendue sans la résolution du troisième terme. Avec Colette Seghers à qui je pense beaucoup aujourd’hui, il avait voulu renommer le titre de la préface qu’il m’avait demandée pour « Dans le jardin des dieux abattus » : « Au soleil des ombres ».

      L’oxymore, cette façon de mettre en fusion les contraires, comme on dit « la clarté de la nuit » pour dire à la fois la nuit, si présente, et la lumière qu’elle porte en secret. Et sans jamais les dissocier. Le chemin de Jean-Marie est animé par cette réalité qui le faisait, de façon inextricablement liée, endurer et avancer, souffrir et jubiler. Porter en même temps la part de nostalgie et les éclats de rire, la révolte et le sens du devoir, les misères et les vaillances du corps, la rareté esthétique et la prodigalité.

     

     Nous sommes tous dans une infinie tristesse à sentir cette présence si forte se dérober à nous. Où est-il ? Que sent-il ? Va-t-il bientôt parler autrement qu’en poèmes aux enfants qu’il eut de son amour avec Danielle, à ces enfants si tôt arrachés, Mireille, Jean-Philippe, ces chers « maladroits de l’éternité », à Anouk sur ce versant, dans « la belle alliance des jours et des nuits faits l’un pour l’autre » et à ses petits-enfants Matisse, Cloé et celui qui naîtra bientôt, car la vie elle aussi dit : « Ne te retourne plus » ? Il faut bien du courage pour vivre en oxymore.

     

    Ce qui est sûr, c’est que tu auras tout fait, Jean-Marie, pour activer ces échelles insolites que forment les poèmes dans nos vies passagères. Tu auras jeté entre les branches des pages qui vont au-delà de la chronique terrestre visible. À chacun d’y puiser, au gré des intuitions, à la faveur de quelques signaux.

    Alors, le mieux que nous puissions faire, le peu que nous puissions dire, nous le ferons. En compagnons, feux allumés, pour porter témoignage de cette aventure que fut ta vie d’homme constellé.

     

    Répétant comme un mantra inusable ces mots que tu nous as offerts :

    « Car il fait l’heure que j’aime

    un soir pour y poser les lèvres »

                                                                             Dominique Sorrente

     Marseille, le 10 août 2017

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     à signaler: La revue Phoenix dans son numéro 25 de printemps 2017 consacre un fronton à Jean-Marie Berthier.

    Le plus récent livre "Ne te retourne plus" est publié en septembre 2017 aux éditions Bruno Doucey.

    D'autres ouvrages de son oeuvre figurent notamment au catalogue des éditions Rougerie, Fanlac, MLD, Le nouvel Athanor, Le bruit des autres.

    Le Scriptorium rendra un hommage durant la prochaine saison.