Cela commence par des touches blanches, des vers de dix-sept syllabes aux allures de cailloux pour baliser la route, à dire le regard à peine fait sagesse :
« flacon du matin
jeune fille en sa chemise
lumière de perle »
Puis les Matins s’attardent sur l’écriture, la voix s’accorde à plus d’ampleur. C’est un paysage ouvert qui s’invente, un horizon qu’auraient préfacé les figures mûries d’Hölderlin et de Rilke. Les poèmes sont temps de méditation retenue auprès de celui qui écrit et « sonde le fond des choses » avec « sa langue comme du givre rescapé/ dans l’air trop lourd ». Ils se font exercices d’allègement et proposent une suite à traverser les forêts et les voûtes, où l’épreuve de l’Effroi et le merveilleux de l’Offrande se font face jusqu’à faire naître une belle foulée du pied dans l’herbe nue.
On retrouve alors la présence originelle de la musique, si prégnante chez l’auteur du Cantique du feu, ses jaillissements d’images qui tantôt voltigent et tantôt crient, puisqu’il s’agit aussi de « lâcher les chiens de la colère dans les jambes ». La méditation alimentée par le souffle se transforme volontiers sous des accents bibliques, avec ce désir de dire dans la pulsation du temps, à proximité d’un mystère qui nous rend nomades.
Dans l’antichambre des paraboles : c’est bien là que les poèmes de Laurence Verrey viennent s’aimanter, peu à peu, jusqu’à nous inviter autour de ce Seul Geste, ultime séquence de ce chemin fait de six haltes, où s’achève la dialectique du corps en ruines et sauvé, voué à l’oubli et accrochant une trace sacrée.
Un itinéraire a pris forme dans les pages rares du livre, comme miroir d’une existence.
Conduit par le lyrique aveu en faveur de « l’amour de l’été enflammé », il dit avec insistance, mais sans jamais peser :
« j’appelle dans la foudre
l’instant fulgurant du poème
dressé sur sa mort »
C’est bien ainsi dans l’approche successive des formes, et dans la ferveur en continu de son timbre poétique, si particulier, que Laurence Verrey dit la part sauve de notre désir de vivre, pareil à la tige aimantée qui nous ressemble. Comme l’a fort bien saisi Claire Genoux, l’écriture ici « appelle l’allégement, tout en cherchant le vertige, ce balancier du désir. »
Car elle sait qu’il y a au fond de notre errance un psaume au jour le jour et toujours à reprendre. Un seul geste comme celui du « volcan insoumis » qui danse sa mutation parmi les flammes. Ce qui fait de cet ouvrage le livre le plus dense et le plus ouvert du poète. Une somme de vie risquée, entre dessaisissement par les mots et appel à l’absolue étrangeté qui nous fonde.
Dominique Sorrente
Un seul geste est paru aux Editions Empreintes, 2010, (www.empreintes.ch) avec une vignette originale de Louise Beetschen.
______________________________________________
Du même auteur :
- Chrysalide, poèmes / Ed. de l’Aire, 1982
- Le Cantique du Feu, poème / Ed. de l’Aire, 1986 (prix Schiller 1987)
- D’Outre-Nuit, poème / Ed. Empreintes, 1992
- Pour un visage, poèmes / Ed. de l’Aire, 2003
- Vous nommerez le jour, poème / Ed. Samizdat, 2005
Voir aussi :
- le site personnel de Laurence Verrey
- une note sur Une brève transe de cailloux